Regard sur l’exploration entre musique et art visuel : entrevue avec Françoise Sullivan

Dans son atelier de Pointes-St-Charles, j’ai eu la chance de discuter avec l’illustre Françoise Sullivan, artiste phare, multidisciplinaire de la modernité, au Québec. Peintre, sculptrice, chorégraphe, photographe signataire du Refus Global, Françoise a su réinventer son leg créatif au travers plusieurs décennies.

L’objectif de la rencontre est de recueillir le témoignage de Madame Françoise Sullivan sur la scène musicale d’avant-garde, d’ici, depuis les années 30.

Nous avons ainsi échangé sur la question de l’interdisciplinarité et de l’expérimentation entre plasticité et son au milieu du 20e siècle.

Le studio resplendissant dans lequel je suis accueillie est doré d’une dizaine de ses travaux en cours. Certains datant de quelques années et d’autres de l’avant-veille, voilà ce qu’elle m’explique d’un air rieur.

Elle débute, pétillante, la discussion au sujet de l’effervescence concernant la présentation des Ballets russes à Montréal.

“C’est surtout l’héritage de Diaghilev qui a eu une très grande importance” “[…] j’avais fait une chorégraphie sur la musique de Petrouchka, en 1938. Déjà j’avais un désir d’expérimenter. Il s’agissait de ma première chorégraphie présentée devant public. J’avais 15 ans à l’époque”.

“Nous n’avions pas tous beaucoup d’argent, pour la plupart, alors nous entrions, en nous faufilant, comme nous pouvions !”

“Ces compagnies venaient seulement que pour quelques jours […] C’était au His Majesty sur la rue Guy proche de St Catherine.” me confie-t-elle.

Création de costume pour Vaslav Nijinsky dans le ballet L’Après-midi d’un faune (1912 par Léon Bakst) – source: Wadsworth Atheneum Museum of Art, Hartford, CT, The Ella Gallup Sumner and Mary Catlin Sumner Collection Fund

En 1948, Sullivan signe le Refus global, manifeste culte, iconique pour l’histoire des revendications sociales québécoises. Elle et ses compères érigent un moment de révolte, de tabula rasa, et ce, autant de manière politique que de manière plastique. Je m’intéresse ici à la mêlée des disciplines durant cette période d’ébullition.

Avez-vous ressenti, à l’époque, que ce désir de rupture avec les traditions s’est aussi déployé au niveau musical ?

“Nous étions ouverts et à l’écoute de ce qui était nouveau, et de ce fait même, aux manières nouvelles d’aborder la musique.” “Ici à Montréal il y avait Pierre Mercure”.

“À New York, j’ai aussi eu la chance de rencontrer Morton Feldman, il est venu au studio de danse de Franzisca Boas. Ça a été une très belle rencontre pour moi. […] Évidemment Harlem ou je suis allée, était assez extraordinaire [ aussi ] .”

Sullivan, allumée, me partage les approches pédagogiques assez révolutionnaires pour l’époque de sa professeure de danse, à New York, Franzisca Boas.

” […] elle avait une collection d’instruments de musique extraordinaire, de tous les pays, qui était étalée dans une partie du studio. Quelques fois, elle nous invitait à en jouer. […] nous faisions souvent de petits jam-sessions.”

“nous avions aussi des cours techniques, et parfois […] c’est elle qui créait la musique live devant nous. Elle allait d’un instrument à l’autre. [et nous improvisions des mouvements. ]”

Pour son retour à Montréal, après quelques mois en territoire américain, Sullivan, nourrit par les aspirations et les savoirs de ses dernières rencontres, avait l’intention, elle aussi, de diriger des chorégraphies et des représentations. Riopelle, Ferron, Renaud, Leduc, Mousseau sont tous des artistes ayant collaboré à plusieurs de ses projets de rentrée.

“Jeanne Renaud et moi avions fait une chorégraphie sur un poème de sa sœur, Thérèse Renaud ‘’Moi je suis de cette race rouge et épaisse qui frôle les éruptions volcaniques et les cratères en mouvement (1946). Claude Gauvreau avait fait le récital du poème. Nous avions aussi fait ensemble une chorégraphie sur la musique de Duke Ellington, Black and Tan Fantasy.”

“Sur ma chorégraphie DUALITÉ (1947) , où Jeanne dansait avec moi, c’était Pierre Mercure qui avait fait la musique.”

“J’ai aussi travaillé avec Maurice Blackburn, pour la télévision, en 1952-53, pour l’ouverture du réseau Montréal-Toronto.”

“En 1949, l’Opéra-minute m’avait demandé de faire une chorégraphie représentant le combat de Monteverdi . J’allais de Monteverdi à Maurice Blackburn hahaha” […] “J’étais une touche à tout !” dit-elle en ricanant.

Sullivan me mentionne un établissement sur St-Denis, avec une grande salle, ou il y avait des séances d’écoute de disques. Elle me confie qu’elle fréquentait régulièrement ce lieu avec son cercle d’amis. Selon son témoignage, ils se rassemblaient souvent aussi, chez certains copains, amateurs et collectionneurs de disques, pour y partager leurs dernières révélations musicales.

Pouvez-vous me nommer certains musiciens novateurs, québécois, méconnus à ce jour, que vous avez rencontrés ?

Guy Lachapelle, Gilles Tremblay, Micheline Coulombe St-Marcoux sont alors nommés. Ils étaient pour la plupart des musiciens du Groupe de la Place Royale, compagnie de danse moderne innovante canadienne, dirigée alors par Jeanne Renaud, vers 1965.

Micheline Couloumbe Saint-Marcoux, photo: Alexandre Zelkine, Montréal (Québec), Décembre 1973

J’aimerais aborder la question de la musicalité au sein de votre corpus. Avez-vous une pièce en tête lorsque je vous mentionne ce sujet ?

“Oui, il y avait le Rideau sonore qui avait une composante musicale. “œuvre présentement exposée au MAC. […] ” il s’agissait d’une sculpture créée pour une chorégraphie.” “Tout est suspendu sur des fils de fer, les pièces bougeaient par le vent que les danseurs créaient […] et ,alors les pièces, par moment se frappaient les unes contre les autres et créaient une trame sonore.

“La chorégraphie s’appelait Rideau, en 1965. C’était une commande de Jeanne Renaud.”

“[…] elle allait chercher Serge Garant, pour faire une musique. Marcelle Ferron, Mariette Rousseau Vermette, Fernand Leduc , ou enfin moi, pour faire les décors.”

Jeanne Renaud et Peter Boneham exécutant Rideau lors de l’événement Expression 65 en 1965. Conception du décor par Françoise Sullivan, photographié par Marc-André Gagné, Bibliothèque de la danse Vincent-Warren, Montréal.

À l’inverse, connaissez-vous un musicien ayant créé une composition suite à l’inspiration d’une de vos œuvres ?

Jeanne Renaud et Peter Boneham exécutant Rideau lors de l’événement Expression 65 en 1965. Conception du décor par Françoise Sullivan, photographié par Marc-André Gagné, Bibliothèque de la danse Vincent-Warren, Montréal.

“Oui. Il y a eu Vincent Dionne qui faisait de la percussion. Il a créé des performances rythmiques sur une de mes chorégraphies.” ( Hiérophanie 1978-1979 )

L’entrevue tirant à sa fin, je ne pouvais pas m’abstenir de questionner Madame Sullivan sur une de ses œuvres les plus déterminantes : Danse dans la neige. Je lui demandai si au moment, où elle réalisa cette chorégraphie, une musique l’habitait.

Ayant le sens de la répartie plutôt affuté, elle me répondit, à son tour, par une question.

“Est-ce qu’il vous arrive des fois de danser sans musique ?”

La musique est intangible.
Elle est parfois rythme, bruit, souvenir, couleur, espace. Existe-t-elle si nous ne l’écoutons pas ?

Red Bloom, huile sur toile envoutante face à nous , fut témoin de nos dernières confessions. À la nuit de notre rencontre, Sullivan me dévoila son affection pour Beethoven, Debussy et le jazz. Je lui partageai aussi ma passion pour le jazz, et la musique expérimentale.

Ode à son œuvre emblématique, c’est dans un début de mois de novembre blanc que Françoise et moi avons fait connaissance .

Françoise Sullivan exécutant Danse dans la neige, 1948, image tirée de l’album Danse dans la neige publié en cinquante copies par Françoise Sullivan, S.l. Images Ouareau (1977).

Suggestion de pièces sonores


Exposition Françoise Sullivan au MAC Montréal

Dates: 20 10 2018 au 20 01 2019
Cette exposition rétrospective souligne la contribution majeure de l’artiste Françoise Sullivan à l’histoire de l’art moderne et contemporain du Québec. Elle offre aux visiteurs l’occasion de revoir ou de découvrir une artiste dont l’impact sur la culture québécoise et canadienne demeure peut-être méconnu.
Billets

Note: Credit Photo Bannière

Françoise Sullivan, Hommage à Paterson, diptyque, 2003
Acrylique sur toile
348 x 574 cm
Photo : Guy L’Heureux/Galerie Simon Blais
© Françoise Sullivan/SODRAC (2018)